"Les plus qu'humains"
J'ai cité plusieurs fois ce livre dans mes chroniques au point que les plus perspicaces d'entre vous doivent se demander si par hasard je n'aurais pas des actions chez "J'ai lu" ou ne ferais pas une fixation sur Théodore Sturgeon.
J'ai découvert Théodore Sturgeon à travers "Cristal qui songe" coincé avec d'autres ouvrages de SF dans la bibliothèque familiale, à moins qu'il ne fût rangé au milieu des policiers ou romans classiques... Cette bibliothèque était une caverne d'Ali Baba où l'on pouvait trouver de tout, sauf peut-être de mauvais livres.
C'est en tout cas le sentiment que j'avais lorsque je cherchais un ouvrage... ou peut-être ai-je appris très tôt, à mon insu, à aimer tous les livres ? À les aborder avec bienveillance, candeur, désir ?
Depuis, j'essaie tout ce qui me tombe sous la main en évitant de lire les critiques et laisse tomber un livre qui ne m'embarque pas. J'admire ceux et celles qui réussissent à terminer un ouvrage qui les rebute car j'en suis incapable. Il m'arrive de me forcer un peu si un tel ouvrage m'a été conseillé mais pas trop longtemps : il y a tant de livres à lire que les neuf vies d'un chat n'y suffiraient pas !
J'agis avec les livres comme avec la nourriture : quand j'ai faim, si j'ai faim, comme j'ai faim et refus d'ingurgiter certains aliments frelatés, toxiques, insipides... beaucoup d'instinct et de confiance en mes sensations. Pour les livres, c'est pareil : ils doivent s'adresser à mes sens avant de parler à mon intelligence. C'est ainsi que s'installe parfois une complicité avec certains auteurs dont je découvre la biographie à postériori.
Conseillant " Cristal qui songe " à l'une de mes amies, elle m'apporta "Les plus qu'humains" et j'achetai les oeuvres complètes un jour que je traînais dans une grosse librairie un peu trop achalandée à mon goût. J'allais tourner les talons lorsque je tombai sur ce que je cherchais, ce qui arrive systématiquement quand j'entre dans une librairie !
J'ai relu plusieurs fois ces deux ouvrages qui présentent une nouvelle facette à chaque lecture.
J'ai donc cherché, sur la Toile des fiches de lecture pour "Les plus qu'humains" : Aucun lecteur n'en avait la même perception. Ce livre fonctionne comme une peau dans laquelle on se glisse avec ce que l'on a en magasin. Je suppose que de nombreux livres fonctionnent ainsi. Tous les contes à coup sûr. Autant de livres que de lectures, le livre n'existant que dans l'espace-temps où il est lu et celui où il continue de vibrer en nous, à travers les souvenirs qu'il a éveillés, les liens qu'il a tissés, ce qu'il réactualise et tout ce qu'il engendrera.
C'est la magie de cette merveilleuse fonction hypertexte que nous utilisons sans le savoir (merveilleusement décrite dans un autre livre qui m'accompagne, "Une histoire de la lecture", d'Alberto Manguel, capable d'associer en un beau livre publié chez Actes Sud érudition, poésie et sensualité).
Fonction qui anime les poètes, les conteurs, les savants et les fous...
Fonction hypertexte que l'ordinateur concrétise sous la forme du changement d'état du curseur de la souris : lorsque la barre se transforme en main, c'est que nous sommes sur une image ou un texte sensibles et qu'un clic va nous emporter ailleurs. Jamais aussi loin que notre propre cerveau hélas mais parfois dans des endroits inattendus.
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication matérialisent ce que le cerveau fait à chaque instant : associer des idées, des textes, des sons, des images, des sensations, des erreurs... pour fabriquer chaque seconde de notre réalité. La toile est à la fois une énorme médiathèque, une gigantesque galerie marchande, une caverne d'Ali baba, un musée des horreurs, un champ de batailles, un support idéologique, l'oeil de Big Brother ou une promesse d'évolution fabuleuse qui nécessite avant tout une éthique.
" Mais, écoute-moi bien, Gerry, il existe une autre sorte de code de vie qui doit te convenir. C'est un code qui exige de la foi plutôt que de l'obéissance. C'est ce que nous appellerons une éthique. L'éthique te donne des règles de survie. Mais il ne s'agit pas de ta survie individuelle. Il s'agit d'une survie plus grande que celle-là. C'est en réalité le respect pour ceux de qui tu viens et pour ta postérité. C'est l'étude du courant d'où tu sors et dans lequel tu vas créer quelque chose d'encore plus grand quand le temps viendra. Aide donc l'humanité, Gerry, car l'humanité est ta mère et ton père..."
Les plus qu'humains, Théodore Sturgeon, page 298, "J'ai Lu"
Je sais maintenant pourquoi j'aime les auteurs comme Sturgeon ou Manguel : ils sont avant tout des conteurs, dépositaires et transmetteurs d'un savoir ancestral et universel.